lundi 14 février 2011

L’espace littéral et l’espace littéraire

On peut se rendre compte qu’il y a une frontalité dans le voir : ce que notre œil nous renvoit c’est son alignement par rapport à d’autres éléments, ce que l’on peut appeler un point de vue. Ainsi ce sont des formes et des couleurs, dans la profondeur du réel, qui sont mis à plat par la rétine de l’œil. D’autre part ces éléments, de par l’œil et de par le langage, sont énoncés en un sens particulier : on pourrait appeler cela reconnaître, par exemple. Le sens est une définition en cela intéressante, puisque qu’elle désigne à la fois les sens perceptifs et le sens énoncé dans notre cerveau ou sensorium. On pourrait même envisager un sens absolu, et donc utopique.

Dans la perception du monde qui nous entoure, je distingue donc deux espaces complémentaires qui coexistent : un espace littéral et littéraire. L’objet regardé serait donc littéral si l’on accepte son existence au monde, et littéraire si l’on accepte qu’il est soumis à la référence pour pouvoir en énoncer le sens (pour moi le couteau n’est un couteau que si je sais ce qu’est un couteau, sinon je le désignerai par sa description, toujours a l’aide de mots, ce qui me permet tout de même de qualifier cet objet et de lui donner ainsi un sens).

Regarder un espace uniquement littéral serait un exercice purement réflexif puisque soumis à la condition de ne pas voir d’espace littéraire (et donc échapper à la fonction référentielle du langage par rapport à l’objet regardé). Or en poursuivant cette idée de regarder un « monoespace » littéral, ce serait d’une observation active : il faudrait envisager le non voir de l’œil, et le voir de la parole : seule la parole peut distinguer la séparation de l’objet concret regardé, et donc son existence au monde, de l’objet regardé pour le moi soumis à la référence, et donc permettre le doute du voir de l’œil pour considérer l’espace littéral seul : le langage permet de distinguer l’objet de la vision, et l’image de l’objet créée par l’œil.

On pourrait sinon envisager d’essayer de ne rien voir avec l’œil, soit des formes et couleurs inqualifiables, personnellement je n’y arrive pas et donc qualifie cette tentative d’impossible.

Pour à peu près les mêmes raisons énoncées, un espace uniquement littéraire dans la perception de la « réalité » poserait le problème de l’espace du voir de l’œil : pour parler, il faut toujours parler de quelque chose, et sans l’espace littéral, il n’y aurait rien a voir, et rien à parler. L’espace interne de la pensée pourrait cependant peut être fonctionner de manière purement littéraire, grâce à sa capacité réflexive de se pencher sur elle-même. Mais dans ce cas de figure je pense que l’on s’éloigne du domaine de la perception, et cette forme d’espace littéraire autonome ne peut cependant toujours pas exister si l’espace littéral disparaissait.